samedi 11 juillet 2020

Sortie : Le bunker de la Rochelle.

Bonjour à toutes et à tous, 

Aujourd'hui, je vous partage le dernier article sur le triptyque consacré au Mur de l'Atlantique aux alentours de la Vendée. Après un premier arrêt aux Sables d'Olonne puis à Batz-sur-Mer, c'est à la Rochelle qu'ArchéoByArnaud a fait une pause le temps d'une journée, il y a une semaine. C'est en plein centre ville que se trouve un bunker de la Kriegsmarine (la marine allemande) qui a été reconverti en musée. Dans cet article, je vous raconterai l'histoire de ce bunker et de la Rochelle durant la Seconde Guerre Mondiale ainsi que des anecdotes. 

Le matou noir, l'emblème du bunker et de la 3e flottille

Le bunker se situe au 8 rue des Dames dans le cœur de la ville de la Rochelle. Dès l'arrivée des troupes allemandes en juin 1940, celles-ci réquisitionnent l'Hôtel des Etrangers de 75 chambres pour loger les soldats puis un an plus tard, cet édifice sera réservé à la marine allemande (Kriesgmarine) pour le commandement de la base sous-marine (située à la Pallice à l'ouest de la ville) et aux officiers de la 3e flottille qui vont y séjourner à partir de novembre 1941. La construction du bunker revient à l'organisation Todt qui sous traite avec une société allemande pour les travaux qui vont durer jusqu'en octobre 1941 ; cependant pour avoir de l'espace les deux immeubles du 8 et 10 de la rue des Dames, attenant à l'Hôtel, sont réquisitionnés et rasés. Ensuite, une grande cavité est creusée pour contenir un bunker de 280m² avec des murs de protection de 2m. 

Le bunker est composé de deux grandes chambrées pour 62 officiers et six chambres individuelles dont certaines pour deux amiraux, d'une grande salle - bar (qui a été divisée en 3 dans la muséographie actuelle), d'un bureau, d'un local technique et de sanitaires. On peut observer l'organisation du bunker grâce à cette maquette présente au musée. 


Scénographie de la grande salle-bar du bunker ; un lieu idéal pour des fêtes arrosées.

Le bunker n'est pas une construction inutile puisque la ville de la Rochelle va subir pas moins de 350 alertes aériennes entre juin 1940 et le 27 août 1944, heureusement le centre historique de la ville n'a pas été touché puisque les 42 raids aériens de bombardements des forces alliées sont dirigés vers la base de la Pallice et l'aérodrome de Laleu. Le bunker est abandonné le 8 mai 1945 après la réédition des troupes allemandes dans la poche de l'Atlantique (voir ici pour plus d'infos), puis réutilisé par la Marine nationale française pendant quelques temps mais le propriétaire de l'Hôtel des Etrangers va fermer les accès et ainsi le bunker se trouve oublié pendant presque 40 ans. 
C'est en 1962, lors du rachat de l'hôtel par un promoteur que le bunker est redécouvert. L'hôtel est rasé et un logement est reconstruit à sa place, le bunker quand à lui sera divisé en appartements privatifs Mais grâce à l'intervention de M. Jean-Luc Labour qui visite le bunker resté intact depuis 1945, le rachète et le préserve ! 
Devenu musée et ouvert de façon ponctuelle au public, c'est en 2012 que les frères Braeuer, créateurs de musées sur la seconde guerre mondiale en Bretagne et Normandie mais aussi en Vendée (aux Sables d'Olonne et à Batz-sur-Mer), le réaménage et l'ouvre au public en mai 2013 ! 

Après la présentation de l'historique du Bunker, quelques histoires sur la Rochelle dans la tourmente de la seconde guerre mondiale.

La Rochelle est déclarée "ville ouverte" le 23 juin 1940, 9 jours après que Paris soit tombé un régiment motorisé entre en ville avec à sa tête l'Oberst (officier supérieur) Erwin Rauch, un lieutenant de la Wehrmacht (armée de terre allemande) et un caporal français qui va servir d'interprète à la mairie et demande au maire d'avoir accès au chemin de ronde pour descendre le drapeau tricolore de la France pour le remplacé par celui à la croix gammée, comme cela s'est fait dans les autres "villes ouvertes". Le maire, Léonce Vieljeux, âgé de 75 ans, vétéran décoré de la première guerre mondiale et lieutenant-colonel de réserve en 1940, refuse d'obéir à un simple lieutenant ; c'est le premier acte de résistance à la Rochelle. Cependant, le lieutenant revient quatre heures plus tard et la bannière rouge à la croix gammée flottera sur la Rochelle pendant cinq ans.

Scénographie du refus du maire de La Rochelle, Léonce Vieljeux, d'obéir aux ordres d'un simple lieutenant, juin 1940.


Un autre endroit clé de la Rochelle pendant la seconde guerre mondiale est sa base de sous-marins située à la Pallice. Le 9 mars 1941, le ministre allemand Fritz Todt, chef de l'organisation Todt et l'Amiral Karl Doenitz se rencontrent à Lorient ; au vu de la production rapide des sous-marins allemands, les fameux U-Boot, les bases françaises de Brest, Lorient et Saint-Nazaire, alors en constructions, vont être saturées d'ici l'été 1941. Alors il est décidé la construction d'une base à la Pallice ; de plus, on construit également des abris bétonnés pour 9 sous-marins. les travaux débutent en avril 1941 et les premières alvéoles sont achevées en novembre 1941 et peuvent accueillir 9 sous-marins, c'est à cette date que la 3e flottille commence à arriver à la Rochelle. 

Maquette de la base de la Pallice.


Dès le premier semestre 1942 ; ces U-Boot partiront en patrouille le long des côtes américaines où ils couleront des centaines de cargos et de pétroliers. Lors du second semestre 1942, les U-Boot participent, en meute, à la bataille de l'Atlantique en s'attaquant aux convois alliés. En janvier 1943, la base a fini de recevoir une extension face au nombre croissant de sous-marins en entretien, dorénavant elle peut en accueillir 13. Cependant, les Alliés dominent la bataille de l'Atlantique grâce à leurs avancées technologiques dans la lutte   contre les U-Boot. En mai 1943, ce sont 41 sous-marins allemands qui sont coulés contre deux fois moins de convois alliés. C'est le tournant de la bataille de l'Atlantique. La base est renforcée, notamment le toit, pour résister aux vagues des bombardiers, jusqu'en août 1944. Au final, la base s'étendra sur près de 3,5 hectares pour 425 000 mètres cubes de béton.



Tenue et effets personnels du chef-mécanicien du U-333 ; Gerhard HEBER.


Avant de vous parler de la libération de la Rochelle, j'aimerai vous parler d'une histoire étonnante.
Tout commence par un chat et un poisson ! Le bunker de la Rochelle est une des structures du mur de l'Atlantique la plus décorée qui m'ai été donné de voir au fil de mes visites ! Dès l'entrée,  un matou noir est peint sur un des murs du bunker. Ce chat noir est l'emblème et la "mascotte" de la 3e flottille de sous-marins allemands stationné à la Pallice. On pourra noter que ce "chat noir" rappelle étrangement un cabaret parisien éponyme, peut-être est-ce un clin d'œil aux fêtes alcoolisées qui devaient se dérouler dans la grande salle-bar du bunker ? Par ailleurs au dessus d'une entrée, on peut voir deux marins enjamber des "trous" qui pourraient sans doute s'apparenter à des tonneaux-fût de bière ou de vin ! et le mot "Kater" écrit dessous,  se traduit aussi bien en "chat" que "gueule de bois" ! Autour de cette scène comique sont représentés des décors marins, décor habituel pour les hommes de la Kriegsmarine,  qu'on retrouve également sur le plafond de la grande salle-bar...et dans une boîte à outils ! 



L'anecdote se déroule au printemps 1942, André le Dour est un jeune électricien rochelais de 21 ans, il effectuera des travaux d'électricité dans l'Hôtel des étrangers puis dans le bunker. Un jour, alors qu'il est en train de réaliser des travaux dans le bunker, il vit deux jeunes femmes allemandes en train de peindre des fresques (encore visibles aujourd'hui), partant faire quelques travaux dans les salles alentours, André décide de poser sa boîte à outils sur le comptoir de la grande salle-bar ; à la fin de sa journée il découvre avec surprise qu'un poisson est peint à l'intérieur du couvercle de sa boîte à outil. Voilà une belle anecdote et un joli souvenir. 



Ces deux femmes allemandes ce sont Annie Charié et Ruth Monsheimer. Elles ont 22 ans en 1942 et viennent de Hambourg où elles travaillaient dans un magasin de mode jusqu'au moment où elles rencontrent un officier de la Kriegsmarine basé à la Rochelle. Ce dernier les convainc de venir en France décorer leur lieu de vie. Elles laisseront une trace de leur passage au bunker, en plus des fresques, elle signent "Cher" et "Mon" sur un des murs du bar. Ensuite, elles partent pour la base de Saint-Nazaire jusqu'en février 1944 pour décorer les casernements de la 6e flottille. Elles suivent les U-Boot dans leur exil en Norvège où elles peignent des fresques à Bergen et Oslo jusqu'en mai 1945 puis décorent quelques foyers de soldats britanniques en Norvège avant de rentrer en Allemagne.

Annie Charié et Ruth Monsheimer, les deux femmes peintres des bunkers.




La Rochelle est une des dernières villes à être libérée en France et ce au prix d'un long siège, de septembre 1944 au 8 mai 1945. La Rochelle est habituée à être le théâtre d'opérations longues, la plus célèbre étant celle de 1629 menée par Richelieu contre une Rochelle protestante faisant alors de l'ombre au pouvoir royal de Louis XIII. 
A l'été 1944, après le débarquement des forces alliées en Normandie en juin puis en Provence en août et la fulgurante avancée vers Berlin, et une fois les ports du Havres, Dieppe ou encore Anvers (en Belgique) pris, les alliés n'ont plus besoin de prendre de ports. Ainsi en septembre, le mur de l'Atlantique et notamment les ports de Brest, Lorient, Saint-Nazaire et la Pallice/La Rochelle deviennent des forteresses à défendre à tout prix, c'est "La Poche de l'Atlantique".  La Rochelle subit alors le 5e siège de son histoire, 15 000 soldats allemands se sont retranchés dans la ville et les civils vont devoir attendre de longs mois avant d'être libérés !

Ensemble des troupes françaises devant la Rochelle.

Les premiers combattants français composés de FTP, SAS et FFI se positionnent à 50km de la Rochelle. Le 18 octobre 1944, le capitaine de frégate Meyer et le vizeadmiral Schirlitz négocient une convention de non-agression pour définir les zones de combats délimitées par les lignes de fronts des soldats allemands et français que chacun s'engage à ne pas franchir. En décembre 1944, les diverses unités  de maquisards engagées dans le siège deviennent des régiments d'infanteries réguliers puis jusqu'en 1945, elles seront renforcées d'unités d'artilleries, notamment par le 4e régiment de zouaves débarqué de Marseille et équipé "à l'Américaine" soit en possession de nombreux canons.  

En avril 1945, le général de Larminat, commandant des Forces Françaises à l'Ouest, doit faire tomber la Poche de l'Atlantique selon les ordres du Général De Gaulle. Après Royan qu'il libère avec l'aide d'une partie des forces présentes devant la Rochelle et une opération conjointe de l'aviation, des blindés et de la marine du 14 au 18 avril 1945, il part libérer La Rochelle où la Pallice est minée ! 
Mais depuis le 30 avril 1945, Larminat a un plan : l'opération "Mousquetaire" une attaque qui permet de repousser les forces allemandes derrières leurs fossés anti-char. Le 4 mai 1945 le Grossadmiral Doenitz, alors à la tête du gouvernement allemand, déclare que "les combats ont perdus toute signification à l'Ouest". Mais le 5 mai, Larminat fait avancer ses troupes jusqu'aux fossés anti-char et charge le capitaine de frégate Meyer de poser un ultimatum au vizeadmiral Schirlitz. Le vizeadmiral accepte de rendre le port de la Pallice et la Rochelle intact uniquement si les forces Françaises n'y pénétrèrent pas avant la réédition générale des troupes allemandes.
Scénographie de la rencontre entre Meyer et Schirlitz


A gauche : portrait de Schirlitz et une photo de sa rencontre avec Meyez 
A droite : Une photo de Rochelais célébrant sa libération, en bas, une photo du passage du général De Gaulle sur le port de La Rochelle le 25 juillet 1945 

Une variante du jeu des petits chevaux adapté aux heures de la Libération

Trois jours plus tard, la seconde guerre mondiale est terminée, La Rochelle est libre après 5 ans d'occupation. 

Pour terminer, petit point pop-culture, sachez que la base de sous-marins de la Pallice a servi de décors dans deux films emblématiques.
Premièrement Das Boot (ou "le bateau" en français) de Wolfgang Petersen, sorti en 1980 et racontant l'histoire d'un journaliste qui suit l'équipage du U-96 lors d'une de ses patrouilles. Tiré de faits réels et du roman éponyme, la scène d'ouverture sur une fête arrosée aurait pu se dérouler dans l'Hôtel des Etrangers. 
A la même époque, Steven Spielberg filme, dans le port de La Rochelle, l'arrivée d'un sous-marin dans une base secrète dans la mer Egée pour Indiana Jones, les aventuriers de l'Arche perdue.



J'espère que cet article vous aura plu, à bientôt pour de nouvelles aventures ! 

Salve

Bibliographie : 


Durrieu A. , 2012, "La mémoire des bunkers, les plus belles fresques du Mur de l'Atlantique" ed. Le Grand Blockhaus


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