jeudi 7 septembre 2017

Interview : Dessin et archéologie, interview de Céline Piret, illustratice archéo


Bonjour à toutes et à tous, 


Aujourd'hui, je vais vous présenter mon interview de Céline Piret, illustratrice en archéologie que j'ai découvert cet été avec ses petits arckéofacts ! 

Bonjour Céline pourrais-tu te présenter ? 

Bonjour ! Mon nom est Céline Piret, je suis née en Belgique à l’automne de l’an de grâce 1991, quelque part entre le Grunge et la chute du mur... J’ai donc 25 ans, je mesure 1m54, je suis scorpion, j’ai deux petits perroquets (Raptor & Youpi) et une minuscule Hyundai couleur terre. Et je cause de trop. Voilà on est présentés (rires).Je suis archéologue depuis 2015 et je me suis spécialisée en Préhistoire à l’université catholique de Louvain.

Depuis 2016, je travaille au Préhistomuseum de Flémalle, le plus grand musée de Préhistoire d’Europe avec ses 30 ha d’activités préhistoriques. J’y travaille comme médiatrice scientifique, c’est à dire que je m’amuse à raconter la Préhistoire aux écoliers et aux visiteurs avides de nouvelles expériences : avec notre super équipe, on invite les gens à faire du feu, tailler le silex, chasser le renne à la sagaie etc etc . Pour plus de renseignement, allez sur le site !

En dehors de ce super boulot, j’essaie de me faire un nom dans le dessin de reconstitution en archéologie.

Comment t’es venu le choix de l’archéologie plus qu’un autre  ?

C’est une longue histoire ! Accrochez-vous, haha. Depuis toute petite, je dessine. Enfant unique, cela occupait une grande partie de mon temps libre et le temps restant, je dévorais les bandes dessinées ; une passion partagée avec ma famille, définitivement littéraire. Quand on me demandait quel était le métier de mes rêves, je répondais pourtant avec conviction que je deviendrais paléontologue (comme beaucoup d’enfants !) Très gâtée par mes parents, j’avais des tas de livres sur tous les sujets, notamment sur la paléonto mais aussi sur les cultures et civilisations. Au début de l’école secondaire, je créais mes propres bandes dessinées, j’avais pour héros un petit dragon (je suis montoise d’origine !) flanqué d’une bande de dinosaures pour amis, qui vivaient de grandes aventures (rires). Quelques années plus tard, j’ai compris grâce aux adultes que le milieu artistique était ingrat, que le dessin resterait certainement quelque chose de récréatif dans ma vie, cela m’a convenu. Dans ma tête, je me disais que les jobs où le dessin servait ne manquaient pas, en réalité. A moi de trouver comment combiner tout ca. Au sortir de mon option grec ancien – langues – littérature en rhétorique j’ai décidé de me lancer dans des études de biologie à l’université. Je rêvais d’évolution des espèces, d’entomologie et d’éthologie. Très vite, évidemment, la première année éliminatoire m’a rappelé mon passif littéraire... Je me suis plantée en math et physique, comme beaucoup, et j’ai dû me reconvertir. J’avais bien sûr lorgné sur le descriptif des études d’archéologie, dont les intitulés de cours me faisaient rêver ; je m’étais dit un peu follement que ce serait mon second choix en cas de pépin mais je devais en discuter avec mes parents, qui me voyaient davantage épouser une formation dans le milieu des sciences (famille de médecins). Inquiets de l’avenir incertain et des débouchés dans cette discipline, ils m’ont pourtant laissé la liberté de choisir, je leur en suis très reconnaissante. Je me disais « on galèrera avec les débouchés plus tard ! » J’ai adoré mes études de bout en bout mais je voulais profiter de l’université pour embrasser d’autres sciences. Obstinée, j’ai complété ma formation avec les cours de biologie cellulaire, animale, de génétique et de paléontologie qui m’intéressaient depuis le début ; j’ai ensuite terminé mes études en suivant des cours spécifiques en faculté de communication ; des cours propres au langage des images, à leur emploi dans le domaine de la transmission des sciences et leur épistémologie (cela me fut autorisé car cela touchait mon sujet de mémoire ; mémoire que j’ai écrit en trois ans). Je suis sortie de l’unif en 2015, j’ai prolongé un peu mon job d’étudiant puis j’ai trouvé du travail en 2016 en archéologie, à force de postuler partout. Beaucoup n’ont pas eu ma chance, j’en reste consciente tous les jours.




Comment procèdes-tu pour faire une illustration de restitution/ reconstitution ?

D’abord, je discute beaucoup avec les commanditaires, souvent des musées ou des commissaires d’expo. Ils présentent des contraintes qu’il faut prendre en compte d’emblée : dimensions, éclairage, délais... et bien sûr budget ! Si le musée est en Belgique, je fais le déplacement pour voir où l’on compte placer la reconstitution. Ensuite, les commanditaires m’exposent leur projet ; je pose beaucoup de questions, notamment en rapport avec les détails (pour éviter les anachronismes quand il s’agit d’une période pour laquelle je ne suis pas spécialisée). Une fois tout cela noté, je soumets un devis, qui sera accepté ou pas. Une fois accepté, à moi de gérer ensuite correctement mon temps pour garantir la qualité du travail dans le nombre d’heures préalablement estimé. Vient alors le premier croquis, qui sera soumis à l’approbation du musée pour me donner le feu vert. S’ensuit alors une phase de recherche durant laquelle je me documente beaucoup pour ne laisser aucun détail au hasard. (Pour une reconstitution d’une cuisine celte, pas question de mettre une patate sur la table par exemple !) J’achète des livres, je lis des articles, et régulièrement, je soumets l’avancement du travail au client pour qu’il puisse, au besoin, changer quelques éléments en cours de route. Le problème qui survient parfois, c’est quand le client s’autorise trop de changements, ce qui rallonge considérablement le travail. Il faut que l’on s’entende dès le départ pour éviter du travail inutile et perdu. La diplomatie est indispensable dans ces négociations !

Quand je crée des reconstitutions pour moi, j’ai tendance à délaisser les objets et l’architecture pour représenter plutôt des gens (Otzï, Neandertal, etc.), cela m’inspire davantage. Les regards que l’on peut y insuffler sont pour moi une proximité émotive avec le passé, un dialogue avec nos prédécesseurs. Comme au cinéma, pour immerger le spectateur dans l’histoire, pour capter son intérêt, il faut créer de l’empathie, qu’il puisse s’identifier aux protagonistes. Cet avis n’engage que moi mais je pense qu’en archéologie, c’est pareil. On a besoin d’images pour matérialiser une réalité révolue, pour faire le lien entre les fragments rouillés de fibules contenus des vitrines et les personnes qui les ont portées dans les drapés complexes de leurs habits. Certains archéologues se méfient de cette émotion car sa force peut détourner de l’info scientifique, je le comprends mais je la trouve pourtant nécessaire pour les raisons que je viens d’évoquer. L’image est un instrument profondément humain, qui sert à s’identifier, à se comparer aux protagonistes : gestes, outils, apparence, vêtements, habitat, travail, etc. On rappelle au visiteur que l’archéologie parle de gens, avant de parler d’objets. Evidemment, s’il n’y a que de l’émotion qui ne nous apprend rien derrière ; si les données archéologiques sont invisibles voire trop peu mobilisées, alors c’est raté, sans intérêt. Il est difficile de trouver l’équilibre entre ces deux pôles.

Le réel danger de l’image, c’est qu’elle est univoque et persistante. Univoque car elle est le reflet de l’état de la recherche à un moment donné, susceptible de changer à tout moment au gré des découvertes... Mais elle n’en reste pas moins imprimée dans l’imaginaire collectif ; d’où sa persistance. Pensez à ces images carrément obsolètes mais pourtant indélébiles (l’homme préhistorique avec sa massue et ses cheveux sales par exemple). Faut-il pour autant cesser de l’employer en sciences ? Ce n’est pas mon avis. Plus que jamais nous vivons dans un monde d’images, en priver la diffusion de l’archéologie serait une bêtise. Non, selon moi, nous devons multiplier les images mais intelligemment (j’y ajoute aussi la pédagogie de geste ou l’usage du numérique) au gré des interprétations, mobiliser l’esprit critique du visiteur pour exposer l’éventail des possibilités. Il ne faut jamais oublier que l’image de restitution est une proposition ; donc par définition, elle se trompe.  La vraie question c’est de savoir dans quelle mesure elle se trompe (Brian Leight Molineaux). Enfin, il sera toujours plus pertinent et plus proche de la réalité si l’on montre plusieurs reconstitutions de la même chose plutôt qu’une seule, c’est statistique. Avant, ca pouvait paraître uniquement théorique mais aujourd’hui, la technologie numérique, la vidéo, les tablettes, projections, la réalité augmentée et je ne sais quoi encore peuvent nous faire jongler avec les images dans le monde muséal.

Je pourrais vous en parler des heures mais je vais fermer ma bouche maintenant.



As-tu une période préférée ?

Je suis préhistorienne, alors oui, la Préhistoire est sans conteste ma période de prédilection. Sans écriture, il est difficile d’avoir de quoi corroborer nos hypothèses ; c’est une période qui pose d’immenses défis interprétatifs parfois frustrants mais ô combien stimulants pour l’archéologue. L’étude de la Préhistoire nous ramène à l’essence même de ce qui fait notre humanité, l’origine de nos cultures, matérielles et certainement immatérielles, doublé d’un rapport à la nature que nous redécouvrons tous les jours, grâce notamment à l’ethnoarchéologie.
Plus fascinant encore, la Préhistoire est l’unique période qui offre l’étude de plusieurs formes d’humanités car Homo Sapiens n’est pas le seul à retenir notre attention. Ce sont des dizaines d’espèces humaines disparues qui sont tous les jours mieux connues, renforçant notre humilité et notre identité  face à l’altérité.

Quels sont tes projets actuels et à venir ?

Comme toujours, je me suis lancée dans trop de trucs à la fois (rires). Il y a évidemment mon boulot que j’adore, pour lequel je cherche à m’investir le plus possible. J’ai aussi le dessin, évidemment. En archéologie ce serait super, ceci dit je ne me fais pas d’illusions, ce ne sera pas pour tout de suite mais je ne lâche pas l’affaire ! 

Avec des amis archéologues, nous avons lancé depuis deux ans une chaîne Youtube appelée « A creuser ». Aidés d’un vrai cinéaste, on se prête au jeu d’acteur pour vulgariser l’archéologie avec humour. Nos vidéos nous ont valu de passer dans des colloques scientifiques et des festivals d’archéologie. Cela mobilise malheureusement un temps ainsi qu'une énergie colossaux, qu’il n’est pas toujours facile de trouver quand on est six !

A côté de ca, j’essaie de me maintenir à jour et d’exister au niveau scientifique. Régulièrement, j’essaie de publier des recherches (suite de mon mémoire) dans des revues scientifiques, participer à des colloques, donner des conférences mais cela demande pas mal de travail de recherche et d’écriture. C’était plus facile quand je n’avais pas encore de boulot !

Depuis moins d’un an, je m’éclate à dessiner les Arkeofacts, qui m’ont valu un retour phénoménal sur les réseaux sociaux ! J’étais loin de m’imaginer ça il y a encore un mois d’ici. Avant, je ne les diffusais que pour quelques amis. J’essaie de m’y investir à fond et d’en produire un par semaine (j’ai des dizaines d’idées de gags dans un carnet). Si le succès se maintient, mon grand fantasme (rire) serait de développer un livre-bédé, publier les Arkeofacts... et un jour, pourquoi pas des produits dérivés, soyons fous ! On commence déjà à me demander des posters, etc. Je me renseigne prudemment sur les crowdfunding. Une inconnue qui possède un magasin en ligne m’a déjà contactée pour me faire des propositions mais tout cela va trop vite ! Je temporise un peu avant de me précipiter dans quoi que ce soit. Hier, même l’Inrap m’a contactée, je ne sais pas encore ce qu’ils veulent mais je vais d’abord me faire une injection de valium, histoire de calmer tout ça (joke)




Quels sont tes conseils que tu donnerais à ceux qui voudraient s’orienter dans ce domaine ?

Je ne me considère pas encore assez expérimentée pour pouvoir donner des conseils aux autres... Je rappelle que je viens de commencer !

Tout ce que je peux dire, c’est « prudence ». Ne vous lancez pas corps et âmes en pensant que ca va rouler ! A l’heure actuelle, je ne peux clairement pas vivre du dessin de reconstitution. Les musées sont un public difficile, qui s’atteint par le bouche à oreille... Pour vous dire, depuis mon lancement en 2015, j’ai eu trois commandes en deux ans ! Si on veut évoluer là-dedans, il faut d’office avoir un autre job sur le côté, le temps de s’accrocher pour se faire un nom dans la reconstitution. Avec mon boulot au musée, je suis toujours immergée dans l’archéo, ça aide à garder la motivation. Aussi, même quand on peut se réjouir d’avoir des commandes, c’est au niveau de la rémunération que le bâts blesse : plus de la moitié du montant de la facture s’envole vers l’Etat, sans parler des droits d’auteur, bien maigres et souvent amputés eux aussi. Si on veut faire ce métier, il faut s’armer de patience et ne pas faire ça pour l’argent : je suis en plein dans la galère du début mais je ne désespère pas qu’un jour je puisse travailler pour de grands musées, mais pour ca il faut bosser et susciter l’intérêt. Un de mes profs d’unif m’a dit un jour « si vous voulez un boulot en archéologie aujourd’hui, il faut le créer. Faites quelque chose qui n’existe pas encore ». C’est ce que j’essaie de faire : j’essaie de proposer un style personnel, mêlant dessin traditionnel (aquarelle et crayon) avec le digital painting, qui permet de créer des textures et des rendus très réalistes. Il faut aussi beaucoup se montrer, profiter des moyens disponibles pour clamer qu’on existe, qu’on bosse et qu’on prend plaisir à relever les challenges. Si on attend la bouche ouverte, rien ne tombe dedans (rires). C’est pourquoi je suis heureuse et chanceuse que les Arkeofacts plaisent aux gens : l’air de rien, ca me donne une visibilité non négligeable pour du « plus sérieux ». 

Souhaite tu aborder d’autres points qui pourrait intéresser les lecteurs, n’hésites pas ! 

Je pense que j’ai beaucoup causé ! Je terminerais peut-être plutôt par un message pour les lecteurs.

Je considère que les Arkéofacts sont un peu à tout le monde, car ils parlent de notre métier et de ses centaines de facettes, ils s’adressent aux archéologues avant toute chose ; j’ai envie que chacun d’entre nous s’y reconnaisse, qu’on forme une grande communauté polyvalente et interdisciplinaire dont le lien fédérateur serait l’autodérision. Je suis contente car pour le moment, mon humour est bien accueilli, personne ne s’est encore offusqué ni indigné ni m’a dit « c’est de la merde », ca viendra sans doute mais pour le moment cela m’encourage à continuer (rires) ! Quelques internautes m’ont spontanément envoyé des petites histoires à mettre en BD et franchement j’ai bien ri ! Ca m’a donné des idées ! Si tout le monde fait ca, j’ai des bonnes vannes à l’infini à partager avec tous les collègues ! 

J’encourage chacun à m’envoyer par message les petites « true story » croustillantes qui feraient de bons gags, ça permet de partager toujours plus d’archéologie ensemble :) Evidemment, chaque Arkeofact fait à partir d’une collaboration fera mention de la personne qui me l’a inspiré ! (en bonne archéologue, je cite toujours mes sources ;) Je trouve que c’est une super façon pour tout le monde de s’approprier les Arkéofacts tout en garantissant leur qualité pour longtemps ! J’espère juste avoir assez de temps pour tous les dessiner un jour :D






Salve ! 

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