jeudi 17 juin 2021

Les six de Beauvoir : Un drame en Juin 1940

Dans le cimetière près de la maison où je passe mes vacances, en Vendée, il y a six tombes qui m’ont toujours intriguées ; aujourd’hui je vais vous conter leur histoire.  

Leurs silhouettes blanches et rectangulaires se détachent du reste des locataires de ce lieu de repos éternel. Le carré militaire attire forcément le regard, intrigué, je me suis avancé pour lire trois noms et voir trois autres tombes anonymes datées d’une seule date : le 17 juin 1940. 





L’histoire commence lorsque les Allemands créent une percée dans la ligne Maginot en mai 1940 ; les troupes alliées et françaises doivent battre en retraite. Alors que l’avancée est fulgurante, les alliés britanniques et français sont coincés dans la poche de Lille. l’Angleterre décide alors d’évacuer ses troupes sur le port de Dunkerque, c’est l’opération Dynamo (26 mai - 4 juin 1940). Pour cette opération de nombreux bateaux, militaires comme civils ont été réquisitionnés pour servir de transport de troupes. Alors que l’Opération Dynamo est un succès mitigé (près de 340 000 soldats britanniques, canadiens, français et belges ont pu en réchapper) il reste néanmoins 150 000 soldats du Corps Expéditionnaire Britannique sur le sol français. 


C’est dans ce contexte que commence l’histoire du RMS Lancastria. Le RMS Tyrrhenia est un paquebot transatlantique, un peu comme le célèbre Titanic, il est lancé sur les flots à Glasgow en 1922, deux ans plus tard, il change de nom pour devenir le RMS Lancastria, car plus facile à prononcer pour la clientèle américaine qui profite de ces croisières entre Europe et Amérique du Nord. Lorsque que commence la Seconde Guerre Mondiale, le bateau est réquisitionné pour devenir un transport de troupes en mars 1940 pour évacuer les troupes britanniques, canadiennes, françaises et polonaises des fjords norvégiens.  Le Royal Mail Ship (RMS) devient le Her Majesty’s Ship (HMS) Lancastria, il devient ainsi un navire militaire et non plus civil.  A la fin du mois de mai 1940 et au début du mois de juin, les soldats alliés ont réussi à rentrer en Angleterre mais 150 000 autres sont restés fuyant les Allemands, ainsi ils reçurent l’ordre de se diriger vers les grands ports de l’Ouest : C’est le début de l’opération “Ariel”. Ainsi les villes de Cherbourg, Saint-Malo, Brest, Saint-Nazaire, La Pallice (La Rochelle), Bordeaux, Le Verdon, Bayonne et Saint-Jean-de-Luz devinrent les derniers ports de replis pour ces troupes alliées cherchant à rallier l’Angleterre ; Le Lancastria lui sera à Saint-Nazaire. 


Le Lancastria (Source : www.lelancastria.com)

Dans le port de Saint-Nazaire, une centaine de bateaux civils comme militaires sont réquisitionnés et prêt à embarquer les soldats ; ils mouillent tous au large de Saint-Nazaire, car plus près de la côte, ils deviendraient des proies faciles pour la chasse allemande, les sous-marins ou encore les mines posées dans l’estuaire de la Loire.  A Saint-Nazaire, puis Brest et La Pallice, c’est près de 28 145 Britanniques (civils et soldats) et 4 439 soldats alliés : principalement du personnel au sol de la Royal Air Force (RAF), des unités de soutien et logistique de l’armée britannique, des civils britanniques, des soldats tchèques, polonais et belges. Entre 7h et 8h du matin, le Lancastria commence à embarquer, selon les témoignages, c’est près de 9 000 personnes qui sont à bords, beaucoup plus que la capacité normale du navire, mais l’ordre était d’embarquer le plus de monde possible y compris des civils.  


Soldats se préparant à embarquer (Source : www.lelancastria.com)

En milieu de journée, un avion se fait entendre, une bombe touche de près le pont de l’Oronsay, un autre transporteur, les débris touchent le Lancastria. Suite au vacarme, les passagers, alors confinés à l’intérieur, décident de rejoindre le pont, la plupart n’ayant pas de gilet de sauvetage. La sirène d’alarme d’un raid aérien retentit et un bombardier allemand surgit hors du soleil et déverse quatre bombes sur le navire.  Une bombe touche une cale où un contingent de 800 membres de la RAF étaient logés, une seconde tombe près de la cheminée, une troisième frappe une soute libérant près de 1400 tonnes de fioul et une dernière explose dans l’eau, trop près du Lancastria, qui crée un trou béant dans la coque, sur le côté ; la panique survient.  


Un marin du Lancastria essayant de progresser pour affaler le canot de sauvetage raconte : 


« Aussitôt que nous avons été frappés par les bombes, je me suis dirigé vers un des canots de sauvetage, il était déjà complet avec beaucoup d’hommes à bord, quand je leur ai demandé de se regrouper pour mettre le maximum de personnes à bord, les autres soldats et toutes personnes pouvant embarquer ont déferlés pour essayer d’obtenir une place dans le canot de sauvetage. 

A ce moment-là le Lancastria a donné une énorme gîte sur tribord et tous les hommes ont été projeté sur tribord. J’ai moi-même traversé le pont en glissant sur mon dos, ça représentait une énorme pente. 

J’ai été jeté à la mer, c’était indescriptible de voir cette masse d’homme, cette masse presque solide, ces hommes qui s’accrochaient ensemble comme des mouches couvertes de pétrole épais. 

Les hommes dans un espoir de survie s’accrochaient entre eux, certains d’entre eux étaient terriblement brûlés par l’explosion des bombes, d’autre s’accrochaient à toutes sortes de débris qui flottaient sur l’eau, d’autres nageaient, c’était chacun pour soi, c’était terrible !!!! “ 


D’autres sautèrent désespérément dans l’eau, jetant leurs enfants avant de les rejoindre, d’autres avec des gilets de sauvetage trop grands moururent sur le coup, le cou brisé lors de la remonté de ces derniers. Certains étaient englués dans l’huile déversée par le Lancastria, elle colle partout, pique les narines et les poumons. Le plus dramatique est que les avions allemands tirent sur les survivants dans l’eau et le Lancastria et tentent de mettre le feu à cette marrée d’huile grâce à des bombes incendiaires. 


Le Lancastria est touché à 15h48, il s’incline à tribord à 15h50, la cheminée sombre à 16h02 et dix minutes plus tard l’ancien transatlantique a sombré à jamais dans la baie de Saint-Nazaire.


Le Lancastria en train de sombrer (Source : www.lelancastria.com)

Après le naufrage du Lancastria, les bateaux environnants prirent en charge les survivants ; ils sont 2 477. C’est une des plus grosses catastrophes maritimes, Winston Churchill classa ce drame “secret défense” jusqu’en 2040 ; Le revers des troupes lors de l’Opération Dynamo étant un succès mitigé, il ne voulait plomber encore plus le moral britannique par une autre catastrophe. On dénombre entre 6 000 et 9 000 morts sur le Lancastria parmi eux les six de Beauvoir sur Mer : R.F ISGER, A.T RICHARDSON ; R.H STREET et trois autres anonymes du Royal Army Service Corps britannique “Seulement connus de Dieu”. 












Durant l’été 1940, la mer recracha des corps tout le long de la côte atlantique, ce qui explique la présence des tombes à Beauvoir, à Noirmoutier, à la Baule-Esboulac, à Pornic etc...  


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